Serious games, tests, mises en situation, quels sont les risques et limites juridiques ?
Serious games, tests, mises en situation, quels sont les risques et limites juridiques ? Tout d’abord, l’analyse du curriculum vitae d’un candidat et l’entretien qui suit généralement, ne suffisent généralement pas pour trouver la perle rare. En effet, un CV peut être enjolivé et certains candidats sont des acteurs nés. Aussi, le souci d’un bon recruteur devrait ainsi être d’objectiver son recrutement. Les enjeux sont, en effet, importants : attraction des meilleurs talents, ou développement de la marque employeur.
C’est pourquoi les outils alternatifs d’évaluation se basant sur des tests, mises en situation ou serious games (jeux sérieux en bon français) sont de plus en plus utilisés en matière de recrutement. En effet, les entreprises plébiscitent leurs aspects interactifs et leur efficacité. Les candidats sont ainsi soumis à un certain nombre de nouvelles techniques d’évaluation de leurs compétences, expériences et traits de personnalité.
Toutefois, ces outils ne sont pas sans risques juridiques, ni limites. Ils doivent donc être abordés avec sérieux et prudence. Aussi, nous vous proposons une plongée dans les méandres de la réglementation pour vous éclairer.
Les limites imposées aux méthodes d’évaluation des candidats par la réglementation
On compte deux références juridiques importantes.
Les principes posés par le code du travail
Pour débuter, on compte 4 grands principes qui limitent l’utilisation des outils alternatifs d’évaluation des candidats.
Le principe de pertinence
Il est posé par l’article L1221-6 du code du travail. En effet, les informations demandées à un candidat doivent avoir pour seule finalité, l’appréciation de sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Celles-ci doivent ainsi être en lien direct et nécessaire avec cette finalité.
À noter : le principe de pertinence vise à la fois les techniques d’évaluation utilisées, et les critères d’évaluation sur lesquels elles s’appuient.
Le principe de transparence
Il est posé par les articles L1221-8 et L1221-9 du code du travail. Le candidat doit ainsi être informé préalablement à leur mise en œuvre, des techniques utilisées à son égard. Par ailleurs, les résultats des tests doivent lui être communiqués de manière confidentielle.
À noter : il en résulte que toute évaluation “surprise” doit être proscrite.
L’interdiction des discriminations
Ce principe est posé par l’article L1132-1 du code du travail.
En effet, aucun candidat ne peut ainsi être écarté d’une procédure de sélection pour des motifs discriminatoires liés notamment à son origine, ses mœurs, ses convictions religieuses ou son orientation sexuelle.
Pour plus de détails sur le sujet, consultez notre article consacré aux questions interdites en entretien d’embauche.
L’obligation de la protection de la santé des candidats
L’obligation de l’employeur de veiller à la santé et à la sécurité des salariés est posée à L’article L. 4121-1 du code du travail.
Par conséquence, il doit ainsi prendre les mesures nécessaires pour assurer une bonne prévention et gestion des risques liés à la sécurité, et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
À retenir : bien que ce texte ne mentionne pas explicitement le recrutement, la jurisprudence en France a étendu cette obligation à toutes les personnes sous l’autorité de l’employeur, y compris les candidats à un poste.
L’influence de la réglementation européenne sur la protection des données
Le second grand point de référence utile pour apprécier les limites à poser aux méthodes et techniques d’évaluation des candidats est européen.
Aussi, il s’agit du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ou règlement général sur la protection des données (RGPD).
L’évaluation des candidats relève du RGPD
L’utilisation de tests, mises en situation, ou serious games amène fatalement le recruteur à collecter un certain nombre de données personnelles sur un candidat.
Elles constituent donc juridiquement, des opérations de traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD.
En conséquence, ce texte est donc pleinement applicable aux opérations de recrutement.
Les principes clés contenus dans le RGPD
On peut citer :
- la minimisation des données en vertu duquel seules des données adéquates, pertinentes et strictement nécessaires à l’objectif d’évaluation des compétences et aptitudes du candidat peuvent être collectées ;
- la finalité des données. Celles-ci doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes.
Vous trouverez des informations plus complètes et détaillées dans notre guide complet sur les documents qu’il est possible de demander à un candidat dans un recrutement.
L’articulation du code du travail et du RGPD
Le recruteur doit tenir compte des deux textes dans ses process. Deux juridictions de contrôle sont ainsi compétentes sur le sujet :
- la Commission nationale informatique et liberté appliquant notamment le RGPD ;
- les juridictions prud’homales qui appliquent le code du travail et la jurisprudence associée en cas de contentieux.
À noter : si la CNIL n’est pas en charge de l’application du droit du travail, elle le prend généralement en compte lorsqu’elle évalue la conformité des pratiques d’une entreprise au RGPD.
Applications concrètes des limites aux méthodes d’évaluation des candidats
Abordons maintenant quelques cas pratiques.
Exemple d’utilisation licite d’un test de compétences techniques
Une entreprise de développement logiciel recrute un ingénieur en informatique spécialisé en intelligence artificielle. Pour évaluer les compétences techniques des candidats de manière objective, elle met en place un test de programmation en Python axé sur des algorithmes d’apprentissage automatique.
Caractéristiques du test
- Les résultats sont évalués de manière automatisée selon des critères prédéfinis, assurant une notation objective.
- Les candidats sont informés de l’existence de ce test dès le début du processus de recrutement. Leur consentement est recueilli avant le début des épreuves. Des détails sur le format, la durée et les compétences évaluées, ainsi que leurs effets sur les décisions ultérieures sont fournis. Après le test, un échange est prévu afin de restituer les résultats.
- Le test est d’une durée raisonnable et des pauses sont intégrées. L’environnement de travail est confortable et adapté.
- La CNIL est sollicitée pour s’assurer d’un traitement conforme des données personnelles collectées.
Analyse
- Pertinence et objectivité : le test est directement lié aux prérequis du poste. Il évalue la capacité des candidats à résoudre des problèmes concrets qu’ils rencontreront dans leur travail quotidien.
- Transparence : l’entreprise a une politique de communication vertueuse et transparente.
- Non-discrimination : le test se concentre uniquement sur les compétences techniques nécessaires au poste. Il ne tient pas compte de critères non-pertinents comme l’âge, le sexe ou l’origine des candidats.
- Préservation de la santé : le recruteur adopte une position soucieuse de la santé et du bien-être des candidats.
- Respect du RGPD : la conformité au droit du travail garantit un regard bienveillant de la CNIL sur la question des données personnelles des collaborateurs.
L’exemple que nous venons de décrire est idéal, mais il permet une approche des meilleures pratiques en la matière.
Exemple d’utilisation problématique d’un serious game
Une société de distribution décide d’utiliser un serious game appelé « LogiMaster » pour recruter des responsables logistiques. Aussi, le jeu simule la gestion d’une chaîne d’approvisionnement complexe dans un univers virtuel fantaisiste et ludique.
Caractéristiques du jeu
- Il met l’accent sur des aspects peu représentatifs du travail réel et éloignés de l’objectif d’évaluation des compétences. Il inclut des éléments fantaisistes, tels que la survie dans un scénario post-apocalyptique futuriste, ou des PNJ syndicalistes adversaires de l’entreprise. Ces éléments n’ont pas de lien avec les compétences nécessaires pour le poste.
- Le recruteur ne fournit aucune information sur les critères de sélection du jeu. Les candidats ignorent comment leurs décisions sont interprétées ou notées. Aucun consentement des candidats sur l’exploitation de leurs données personnelles n’est recueilli.
- Par ailleurs, l’entreprise applique une grille d’analyse des traits psychologiques et des comportements des candidats fondée sur l’astrologie.
- Les candidats ne reçoivent aucun retour sur leurs résultats et performance après coup. Ils ne sont pas informés des effets de leurs prestations sur leur candidature.
- Le jeu est conçu avec une interface complexe et des codes visuels qui favorisent les joueurs jeunes et expérimentés en jeux vidéo.
- La partie dure 4 heures d’affilée, sans pause, mettant les candidats sous une pression intense et prolongée. Le but est de tester la résistance au stress. Le jeu inclut des défis fondés sur des stratégies de compétition directe entre candidats.
Analyse
- Pertinence et objectivité : on ne peut matérialiser de lien nécessaire et direct avec le type d’emploi proposé ou avec la finalité d’évaluation pour le poste. Les critères d’évaluation n’ont pas de base scientifique solide.
- Transparence : l’entreprise laisse les candidats dans le noir sur les modes d’évaluation. Elle ne recueille pas leur consentement et ne les informe pas des résultats.
- Non-discrimination : la méthode a pour effet d’exclure une population à raison de son âge. Elle se positionne également contre l’appartenance syndicale des candidats.
- Prévention des risques santé : l’entreprise n’est clairement pas soucieuse du risque santé.
- Respect du RGPD : la CNIL trouvera très certainement à redire à ces pratiques.
On trouve là encore, un exemple un peu caricatural, mais qui a le mérite de sensibiliser aux erreurs à ne pas commettre.
À retenir
- Les tests et serious games sont des concepts de plus en plus utilisés pour objectiver un recrutement. Ils doivent respecter des normes juridiques précises.
- Quatre principes clés encadrent ces méthodes : pertinence, transparence, interdiction des discriminations et protection de la santé des candidats.
- Les évaluations relèvent également du RGPD, imposant des restrictions sur la collecte et le traitement des données personnelles des candidats.
- Les entreprises doivent assumer la responsabilité de la conformité, à ces réglementations dès la conception, pour gérer les risques juridiques et assurer un processus de sélection équitable.
La mise en place de méthodes d’évaluation innovantes, telles que les tests de compétences ou les serious games, offre de réelles opportunités pour objectiver vos processus de sélection. Cependant, un équilibre doit être trouvé entre leur efficacité et la recherche du respect du cadre légal.
Aussi, pour sécuriser vos projets tout en optimisant leur efficacité, il est crucial de s’appuyer sur une expertise solide. Par conséquent, le cabinet Noviac est à votre écoute pour vous accompagner dans cette démarche.
Serious games tests mises en situations : SOURCES
- Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données): articles 4 et 5.
- Code du travail : Articles L. 1221-6 à L.1221-9.
- Code du travail article L. 1132-1.
- Code du travail article L. 2312-38.
- Code du travail articles L4121-1 à L.4121-5.
- Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : articles 1, article 6 et article 46.